Nous nous empressons de tout vous révéler sur cet encart qui vient de paraître, dont le thème est «la formule 1».
Son titre séduisant (1993, le « pire » titre mondial de Prost selon lui) parle de lui-même.
Présenté sous le nom «Matthieu Mastalerz», le rédacteur est reconnu comme quelqu’un de sérieux.
Le papier a été publié à une date indiquée 2023-03-18 13:20:47.
Le Professeur est revenu sur sa saison 1993 lors du dernier épisode du podcast officiel Beyond the Grid. Et 30 ans plus tard, Prost n’en garde pas nécessairement un si bon souvenir.
Pourtant 1993 sonne sur le papier comme une excellente saison. Un titre mondial acquis deux courses avant la fin, 99 points marqués en tout, soit le plus haut score retenu de sa carrière – les 105 unités de 1988 se sont heurtées à la règle des onze meilleurs résultats – et vingt-cinq d’avance sur son rival Ayrton Senna. Le tout en dépit d’une absence d’un an non négligeable en termes de remise en forme physique et d’adaptation aux F1 « assistées ».
Un public peu convaincu
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Mais 1993 reste le titre dont Alain tire le moins de satisfaction. Et il y a différentes raisons à cela. La première étant la défiance d’une partie des observateurs face à ces résultats, une attitude hélas loin d’être nouvelle envers le quadruple champion du Monde
« 1993 a été une saison très étrange. Elle reflète plus ou moins la façon dont j’ai été parfois traité durant ma carrière. Durant cette période, si vous gagniez avec Williams, c’était normal ; si vous perdiez, vous étiez stupide. Ce n’est pas vraiment ce que recherche un pilote de course. Vous avez besoin d’une situation objective. Ce n’était pas une saison très agréable sur le plan humain ».
Comme Tom Clarkson le souligna durant l’interview, c’était la première fois que l’on attendait une domination de Prost depuis le début de sa carrière. En effet, Williams écrasa la saison 1992 avec la FW14B dotée d’une suspension active enfin maîtrisée et d’un moteur Renault V10 désormais intouchable. Nigel Mansell s’assura le titre aux deux tiers de la saison avec huit victoires en onze courses, et neuf sur l’ensemble de la saison. On voyait donc Prost continuer sur cette lancée, surtout avec McLaren sous-motorisé par un bloc Ford client.
Une monoplace trop active pour Prost
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Problème : si Prost prit plaisir à piloter la FW14B, il n’en allait pas de même pour la FW15C. L’une était une voiture passive seulement complétée par un gadget actif. L’autre était une monoplace totalement « active », conçue autour de moult artifices électroniques. Au lieu de rendre la vie du pilote plus facile, elle compliqua la tâche de Prost, reconnu pour sa mise au point d’une précision chirurgicale. Si bien qu’il préféra se passer de certains dispositifs, non sans suggérer de reprendre la FW14B de 1992 !
« Mon style de conduite et ma façon de mettre la monoplace au point sont très différents de la majorité des pilotes. Je n’arrivais pas à régler la voiture comme je le souhaitais, je n’avais pas le bon ressenti, et lorsque j’utilisais la direction assistée et l’ABS, mon ressenti s’amoindrissait davantage. Du coup, exception faite d’une course, je n’ai pas utilisé la direction assistée et l’ABS de toute l’année ».
« J’avais l’habitude de tout faire par moi-même. Avec une voiture « active », les ingénieurs mettaient la voiture au point avec les ordinateurs. C’était peut-être le plus gros problème ».
Ainsi, alors que Prost avait pris l’habitude d’adapter la monoplace à son style de conduite, ce fut l’exact contraire en cette saison 1993. Selon lui, la balance entre la modification de la voiture en sa faveur et celle de son pilotage en faveur de celle-ci était de 20% contre 80%. Et il dut non seulement adapter sa façon de piloter mais aussi de penser.
«Ma philosophie était de piloter à 85-90% de mes capacités car quand vous n’êtes pas à 100%, vous avez le temps de réfléchir, de penser à certaines choses, vous avez une marge de manœuvre. Avec une voiture active, vous n’aviez pas le même feeling. »
Autre illustration parlante de ce désamour envers ce « petit Airbus » comme il le surnomma plus tard : lui qui avait la capacité de mémoriser les set-ups des années passées chez McLaren ou Ferrari jusqu’au moindre détail admit n’avoir presque rien retenu de son année chez Williams à cause de l’omniprésence des ordinateurs.
Une voiture pas si dominatrice
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Si les difficultés que Prost connut avec la monoplace étaient surtout liées à son style particulier, selon lui, la FW15C n’était pas aussi performante qu’on le laissait entendre. Tout en reconnaissant un avantage moteur indéniable et sa rapidité, elle était loin d’être parfaite et ne fut pas aussi bien développée que la McLaren
« La monoplace était très bonne dans certains domaines et moins dans d’autres. La position (de conduite) n’était pas aussi confortable que je l’aurais souhaité […]. Bien entendu la voiture était rapide et à aucun moment nous étions largués. Mais en fin de saison, au Japon et en Australie, j’ai essayé de me battre pour la victoire et je n’y suis pas parvenu car McLaren était alors plus rapide »
Prost alla jusqu’à affirmer que McLaren proposait une meilleure électronique que celle de Williams, en plus de disposer d’un excellent châssis. D’où de meilleures performances sur piste humide, notamment à Donington, course restée célèbre pour la démonstration de Senna et le naufrage de Prost éprouvant des difficultés au moment de rétrograder, sans compter des changements de pneus rarement opportuns. Mais ses explications de l’époque se heurtèrent à un mur.
« Au final, vous pouvez essayer d’expliquer pourquoi vous êtes bons ou pas, personne ne comprend cela dans cette situation car les gens prennent toujours la défense du pilote avec la monoplace moins performante. Et ce n’était pas toujours le cas».
Williams, une équipe plus austère
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Autre facteur contribuant à ternir cette dernière saison : l’entente avec Williams. S’il ne critique pas la politique de l’équipe de Frank Williams et Patrick Head, il constata une ambiance plus froide, où le pilote est réduit à un statut de simple employé, là où McLaren offrait plus d’espace et de confort.
« Chez McLaren, il s’agissait plus d’une équipe familiale mais c’est difficile de comparer car j’étais ami avec Ron [Dennis] et Mansour [Ojjeh]. Je faisais tout pour l’équipe, je participais à toutes les réunions importantes avec Ron, je cherchais des sponsors, etc.
Avec Williams c’était différent. J’étais proche de l’équipe de course mais pour les pilotes latins et sensibles comme moi, qui cherchent à construire une relation avec l’équipe, c’était une autre culture. Je ne critique absolument pas cela. Soyons honnête, vous êtes un pilote de course, vous êtes un employé, donc vous faites dans l’ensemble ce qu’on vous demande de faire. C’est une atmosphère bonne pour certains pilotes et pas pour d’autres ».
Illustration parmi d’autres de ce choc des cultures : lors de son premier test avec Williams au Portugal, en dépit de ses revendications, Prost fut contraint par l’équipe de piloter la FW14B avec un baquet taillé selon les dimensions de Nigel Mansell. Et il est peu dire que les deux pilotes ne partagent pas le même gabarit !
Le spectre de Senna
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Enfin, inévitablement, sa rivalité avec Ayrton Senna participa à cette tension permanente. Encore traumatisé par l’ambiance toxique qui pollua l’équipe McLaren en 1989 (ils ne s’adressaient même plus la parole…), Prost refusa catégoriquement toute nouvelle collaboration avec le Brésilien. Et Williams adhéra à son refus en insérant une clause qui spécifiait noir sur blanc que ce duo ne se formerait jamais sous son toit.
Reste que Prost ressentit malgré tout le spectre d’Ayrton hanter l’équipe toute l’année.
« L’ambiance était assez étrange. Il y avait Williams, il y avait Renault, et il y avait le fantôme de Senna qui essayait d’être engagé par l’équipe. Et puis il y avait la presse qui n’était pas très agréable envers moi puisqu’elle préférait supporter le pilote avec la monoplace plus faible ».
Une opposition sur laquelle Senna, jamais inactif sur le champ de bataille de la guerre psychologique, joua plus d’une fois. Dès l’officialisation du recrutement de Prost et de son droit de veto, Senna accusa son rival de lâcheté. Et il fut rarement à court d’une petite phrase déstabilisante durant l’année 1993, telle sa proposition d’échanger sa monoplace avec celle d’Alain après Donington…
Tous ces aspects amenèrent Prost à anticiper sa retraite. Lassé des bruits incessants quant au possible recrutement de Senna pour 1994 malgré la fameuse clause, Alain proposa au cours du mois d’août d’être payé pour 1994 en échange de sa retraite, laissant donc le champ libre à son rival. Une décision qui le libéra plus qu’autre chose au final. L’inverse d’un Senna qui, après avoir fait la paix avec Prost sur le podium d’Adélaïde, lui demanda de revenir sur sa décision !
On comprit plus tard à quel point Ayrton avait besoin d’Alain pour entretenir sa motivation…
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Formule 1, édition 2002 : L’Annuel technique par Piola.,Ouvrage . A emprunter en bibliothèque.
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A tombeau ouvert.,A voir et à lire. . Disponible sur internet.